On peut facilement affirmer que «Une histoire d'amour et de ténèbres» (2002 / 2004) est un récit autobiographique de l'écrivain israélien Amos Oz (né Amos Klausner) auquel s'ajoutent des éléments historiques de la mise en place de l'État d’Israël. Le récit se déroule sur plusieurs années. Le propos de l’auteur est fragmenté entre des souvenirs généralement pas chronologiques, des portraits de sa famille élargie, des anecdotes et des réflexions «philosophiques» personnelles.
L'auteur dresse par la suite les portraits de certains membres de sa famille élargie et d’autres adultes qui l’entourent. La figure influente de son oncle Joseph Klausner s’impose, il s’agit presque d’un héros. Il faut savoir que ce professeur d'université réputé a été candidat à la première présidence d'Israël. Les intellectuels et universitaires amis de son père se rencontrent régulièrement chez son oncle pour y tenir des discussions politiques passionnées sur le sionisme. Son grand-père et sa grand-mère occupent aussi une place importante. À cela s’ajoutent également les visites chez les voisins et les autres amis de la famille qui permettent à Oz de mettre en lumière différentes histoires d'immigration vers la terre d’Israël et les espoirs qui y sont associés. Puis Oz nous raconte des scènes liées aux origines de ses parents venus d’Europe de l'Est. Il nous parle du milieu culturel fertile de Vilnius en Lituanie dans lequel son père a grandi. Du côté maternel, sa mère Fania est issue d'une famille aisée d'Odessa en Ukraine. Elle a connu une jeunesse privilégiée avant un premier déplacement à Rovno pour fuir l’antisémitisme qui les a finalement contraints à émigrer.
Arié, Fania et Amos se retrouvent à vivre les années tendues entourant la création de l'État d'Israël. L'auteur raconte comment il a vécu le vote sur le partage de la Palestine, la guerre civile, la proclamation de l'État d'Israël, le départ des Britanniques, la guerre d'indépendance de 1948 et le siège de Jérusalem. Un point de vue unique d’un enfant sur ces événements historiques. Il s’agit d’une des parties du roman que j’ai le plus apprécié.
La suite du récit est davantage empreinte du drame qui a marqué la vie d'Amos Oz. L’auteur évoque de toute sorte de façon, tout au long de ce récit, le suicide de sa mère Fania alors qu'il n’avait que douze ans. Comme toutes les personnes placées devant ce genre de situation, il analyse les signes avant-coureurs de ce geste. Oz raconte la lente descente de sa mère dans la dépression, son isolement, ses insomnies et ses errances nocturnes. L’aveuglement de son père devant la gravité de l'état de santé de sa femme. Pour tenter de comprendre, il met en évidence le contraste entre ses origines et son inadaptation à sa vie modeste à Jérusalem. Il est question de ses rêves brisés, de sa nostalgie de l'Europe d’avant, du sort de membres de sa famille face à la Shoah qui sévit en Europe. Fania l’a évoqué avec ses rares amies proches, elle avait imaginé une vie plus romantique et aventureuse que celle de mère au foyer dans un appartement miteux de Jérusalem.
Après la mort de sa mère, Amos est en colère contre son père. Les familles Klausner et Mussman ne se parlent plus sauf par le biais d’Amos. Sa relation avec son père devient impossible, il décide à quinze ans, contre l’avis de son père, d’aller rejoindre le kibboutz Houlda. C’est lors de ce changement de milieu de vie qu’il modifie son nom de famille pour passer de Klausner à Oz. L'auteur nous parle de la vie au sein d’un kibboutz, qui correspond davantage à l'idéal sioniste de l’époque, une position sociale opposée à celle que souhaitait son père. C’est lors de ces années de jeunesse au kibboutz que ses premières tentatives d’écriture littéraire sont remarquées. L’écriture devient de plus en plus pour lui une vocation qui donne un sens à sa vie. Oz nous raconte brièvement ses années de service militaire et ses études à l'Université hébraïque de Jérusalem. On peut penser que ses décisions de vivre au kibboutz et de persister à s’exprimer par la littérature l’ont probablement extirpé du fond du baril.
Ce récit plus ou moins romancé, «Une histoire d’amour et de ténèbres», évoque les réminiscences individuelles d’un nouvel Israélien dans lesquelles il entrelace l’histoire collective d’un État naissant. Au travers de son histoire personnelle, Oz élargit son propos pour exposer les contradictions et les tensions politiques que traverse la société israélienne au moment même de la construction de l’État. Il réfléchit également à ce qu’est l'identité israélienne tout en s’appropriant sa propre identité de jeune homme et d’écrivain. Comme lecteur, je me rends bien compte que l’auteur nous donne accès à une expérience singulière vue de l'intérieur.
Une des difficultés à la lecture de ce roman est que les 63 chapitres de son récit alternent entre différentes facettes de la vie d’Amos Oz, des aventures de son entourage et des étapes de la mise en place de l’État d’Israël. À l’intérieur d’un même chapitre, il y a souvent des apartés qui nous amènent vers un autre sujet ou un autre personnage. Il y a aussi des répétitions. On pourrait penser à une discussion qui s’égare parfois. En plus, ici et là, il nous indique : ça, j’en ai déjà parlé dans tel ou roman, ou vous trouverez plus de détails dans ce roman, en nous mentionnant les titres. Je suis content de l’avoir lu, mais je n’en ferais pas la recommandation. Je vous dirigerais plutôt vers ses autres romans.
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