D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds de Jón Kalman Stefánsson


J’ai lu «D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds» (2013 / 2015) de Jón Kalman Stefánsson, un roman traduit de l’islandais par Éric Boury. Ce titre, qui en intrigue plus d’un, est tiré de la page 386 du roman où la belle-mère d’Ari met fin à une tentative de suicide par noyade de Sigga, une jeune fille qu’Ari connaît depuis sa jeunesse. C’est plutôt curieux comme choix de titre!

Ari est le personnage central de ce roman. Il en est le narrateur avec un ami de jeunesse qui nous demeura inconnu tout au long du roman. On l’accompagne au travers de cette saga familiale qui se déroule sur trois générations; celle de ses grands-parents Oddur et Margrét, celle de son enfance à Keflavík avec son père Jakob dans les années 1980, puis le temps présent. Il y a là une première difficulté puisque l’auteur se promène d’une période à l’autre. Il faut porter attention au titre des chapitres et se rappeler ce qui se passait auparavant dans la période concernée.

Le roman s’ouvre au moment où Ari entreprend de revenir chez lui puisqu’il avait quitté Reykjavik en Islande pour Copenhague au Danemark. Il y travaille comme directeur d’une collection dans une maison d’édition. On apprendra rapidement qu’il avait quitté l'Islande suite à une rupture colérique et subite avec sa famille, laissant femme et enfants sans explication. Une rupture qu'il regrette aujourd’hui. C'est une lettre de sa belle-mère et un colis reçu de son père qui l’incite à entreprendre ce voyage. Il y est question de l’état de santé de Jakob et ce dernier lui envoie une enveloppe remplie de souvenirs de famille. 

C’est par le biais de ces souvenirs qu’Ari (et son ami) plonge dans le passé et se remémore la vie de ses grands-parents, de ses parents et de son adolescence. Oddur et Margrét occupent une place importante dans les réminiscences d’Ari, mais ils sont aussi des personnages marquants pour tous les villageois dans la région de Nordfjördur. Oddur est un pêcheur dont la vie est liée à la mer. Sa génération a été exposée à la rudesse des conditions de vie islandaises. L’histoire d’amour de ses grands-parents est captivante et leur vie est remplie de tendresse, de souffrance et de résilience. D’ailleurs, comme lecteur, cette époque m’apparaît comme la plus intéressante de ce roman.

L’époque des années 80, nous introduits à la relation quasi inexistante qu’il a avec son père. Un homme sévère et de peu de mots, leur relation repose beaucoup sur des non-dits. Alors que l’absence de sa mère occupe une place importante dans les souvenirs d’Ari. Cette absence va également jouer dans le développement de sa personnalité; sensibilité et fragilité.

Le village de Keflavík y apparaît presque comme un personnage compte tenu de la place qu’il occupe dans le récit de ses souvenirs. C’était une époque où le village «existait», la pêche était bonne, l’usine de transformation du poisson fonctionnait à plein et la basse militaire américaine était occupée par des milliers de militaires. Ari nous dresse un portrait élogieux et sensible de plusieurs de ses amis qu'il a côtoyés à cette époque «glorieuse».

Aujourd’hui, tout cela a disparu. Avec les quotas, les gouvernements ont mis fin à la pêche, les usines ont fermé et les militaires ont tous quitté la base militaire. Son village lui semble terne et triste. Il revoit ses connaissances et amis à l’aéroport, dans le taxi à la réception de l’hôtel. Autant d’occasions de se perdre dans ses souvenirs et de réfléchir à ses choix de vie.

Mais, de mon point de vue, l'essentiel de ce roman n’est pas dans le récit poétique et mélancolique de l’histoire familiale. En effet, Stefánsson s’engage, en aparté, dans des réflexions philosophiques liées aux propos d’Ari au sujet du temps qui passe, de la mort, de l’amour et des multiples facettes de l’identité. À quoi, à qui sommes-nous attachés? Un environnement, un territoire, une famille, un travail, des souvenirs...

Stefánsson nous dresse un portrait nuancé de l’Islande, il joue avec le beau et le laid. Il en fait autant avec les émotions humaines. Il nous invite à réfléchir avec lui à trouver un sens à la vie. D’autre part, bien que sa plume soit belle et accessible, ce roman est difficile à lire. Outre les sauts impromptus d’une époque à l’autre, les réflexions s’insèrent dans le texte comme des parenthèses et, en plus, les narrateurs, Ari et son ami passent d’une idée à l’autre ou d’un souvenir à l’autre, ce qui peut facilement faire perdre le fil de la trame narrative au lecteur. Je n’ai pas apprécié ce procédé. Je crois que c’est un roman à lire lentement, à petite dose pour prendre le temps de songer aux réflexions profondes qu’il contient.


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