Le complot contre l'Amérique de Philip Roth


J'ai terminé la lecture de «Le Complot contre l’Amérique» (2004 / 2006) de Philip Roth. C'est un roman où l'auteur mélange des faits historiques avec des événements qu'il imagine, une forme de réécriture romanesque de l'histoire. Ainsi, dans son roman, le célèbre aviateur Charles Lindberg se présente comme président des États-Unis d'Amérique et bat Roosevelt lors des élections de 1940. Il a gagné notamment parce qu'il reprochait à Roosevelt et aux Juifs de pousser les États-Unis vers la guerre contre l'Allemagne nazie. C'est dans cet esprit qu'une fois élu, il signa un pacte de non-agression avec Hitler. Ses discours antisémites, son élection et ce pacte font craindre le pire aux citoyens juifs. Le régime nazi se permit même de décorer Lindberg de la Croix de l'Aigle pour ses réalisations comme aviateur... et pour ses positions politiques!


L'auteur prend à témoin sa propre famille pour nous raconter comment la communauté juive vit les événements. Le narrateur c'est Philip Roth (lui-même), un jeune garçon de sept ans qui essaie de comprendre l'attitude de ses parents et des adultes en général, tout en vivant les tourments du début de son adolescence. Ici aussi, il n'est pas toujours clair de percevoir ce qui est autobiographique de ce qui est de la fiction. Roth utilise donc le quotidien de sa famille et des gens qui l'entoure pour nous faire voir ce qu'aurait pu être l'histoire des États-Unis pendant la 2e guerre mondiale en changeant seulement quelques pièces au casse-tête.

Alors que font les gens qui sont confrontés à ce contexte politique tendu? Ainsi, on verra le cousin du petit Philip s'engager dans l'armée canadienne pour aller combattre Hitler en Europe. Il en reviendra avec une jambe en moins et sera éventuellement recruté par un parrain de la mafia juive. Alors que son frère aîné, entraîné par sa tante s'implique dans le Bureau d'Assimilation créé par Lindbergh et participe à la politique de relocalisation des Juifs qui, sous le couvert de l'intégration, vise plutôt à les isoler. Certaines familles, dont leur voisin, cèdent au programme de Lindberg, d'autres quittent vers le Canada (la mère de Philip déposait de l'argent sur un compte d'une banque de Montréal) avant que la frontière leur soit fermée et d'autres résistent.

Le jeune Philip nous raconte également comment l'émission de radio du dimanche soir de Walter Winchell était écoutée «religieusement» par son père et l'ensemble de la communauté juive. Il incarnait l'espoir d'un changement positif. Winchel était lui-même juif, il était éditorialiste et chroniqueur radio, un personnage connu et très populaire. Il était un des rares à critiquer publiquement le gouvernement de Lindbergh. En juin 1942, il dénonça de nouveau le gouvernement fasciste et pronazi de Lindberg et il lève le voile sur les véritables intentions des programmes d'insertion et de relocalisation du Bureau d'Assimilation. Le lendemain il est congédié et, quelques jours plus tard, il se présente comme candidat démocrate en vue des prochaines élections présidentielles. Il entreprend alors une tournée de discours dans différents états, à chacune de ses interventions les émeutes antisémites prennent de l'ampleur, la violence augmente de jour en jour, de ville en ville, la police n'intervient pas rapidement, les institutions juives sont brûlées, les citoyens juifs sont attaqués. Puis, en octobre, Winchell est assassiné à Louiseville dans le Kentucky. Cette nuit-là la violence à l'égard des juifs atteignit son paroxysme. Le président Lindberg se rendit à Louiseville aux commandes de son avion et prononça un discours sans faire allusion à l'assassinat, il déclara que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Il reprit la voie des airs pour disparaître sans laisser de trace... «Où est Lindberg?»

La suite du roman laisse perplexe, en quelques jours et en une trentaine de pages, l'histoire américaine reprend son cours normal. La loi martiale est imposée; le gouvernement allemand lance l'idée «avec preuves à l'appui» que la disparition du 33e président est le résultat d'un complot juif fomenté par Roosevelt; le gouvernement britannique est plutôt convaincu «avec preuves à l'appui» qu'il s'agit d'un complot allemand mis sur pied par Hitler et sa garde rapprochée; adhérant à un complot juif contre l'Amérique, le président par intérim Wheeler demande à l'armée, à la garde nationale et au FBI de sécuriser les villes américaines et de procéder à l'arrestation des juifs ayant pris part à ce complot et de leurs sympathisants, dont Roosevelt; puis, la Première Dame, qui s'est échappé de sa détention illégale, prend la parole via une radio clandestine pour réclamer de l'ensemble des forces de l'ordre de mettre fin à cette usurpation du pouvoir et que le congrès procède à la nomination d'un nouveau président selon les règles de la constitution; Roosevelt est élu pour un 3e mandat, il déclare la guerre au Japon, à l'Italie et à l'Allemagne. Vous connaissez la suite...

J'ai bien apprécié le récit du narrateur, le jeune Philip, ses réflexions étaient souvent drôles, juteuses voir insolentes. L'ambiance familiale est bien décrite, on sent le changement s'opérer vers de plus en plus de tension. Le sort de chacun des membres de la famille m'a intéressé. L'idée de «jouer» avec des faits historiques pour construire une histoire alternative me semblait prometteuse, mais le choix d'inventer des États-Unis d'Amérique antisémite qui ne veulent pas intervenir dans le processus d'extermination en cours m'a, disons, dérouté. J'ai d'ailleurs appris avec ce roman que le «fond» antisémite des Américains à cette époque était plus grand que je ne l'aurais cru. La traduction semble bien rendre l'écriture sans fioritures de Roth. Le roman se déroule sur deux ans et la structure est linaire, sauf pour les deux derniers chapitres qui ont été inversés, ou du moins intercalés. Je n'en vois pas l'utilité, l'auteur brise le rythme, sauf dans une volonté d'insister sur cette peur «historique» et «permanente» de la communauté juive, peur qu'elle entretient. Je n'ai pas apprécié le dénouement précipité de la fin, la vraisemblance du déroulement des événements est limitée.

Je n'ai pas encore abordé «l'éléphant dans la pièce», à savoir le lien entre ce roman à caractère historique et l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Roth a écrit ce roman bien avant que Trump songe à briguer les primaires présidentielles du Parti républicain pour devenir leur candidat à la présidence. Ce sont des lecteurs et probablement des journalistes qui y ont vu des liens, mais c'est surtout la série télé «Plot Against America» imaginée en 2018 et diffusée en 2020 sur HBO qui a mis en évidence les liens entre la montée de Trump et celle de Lindberg. Il est difficile de connaître les intentions d'un auteur, mais Roth écrivait-il une œuvre d'autofiction pour nous présenter sa famille ou un roman historique autour de l'élection de Lindberg?


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