Hérétiques de Leonardo Padura

 La lecture de «Hérétiques» (2013 / 2014), un roman de Leonardo Padura m'a paru un peu longue. Le lecteur se retrouve devant 603 pages divisé en trois livres «Daniel», «Elias», «Judith» et une «Genése». Je peux le mentionner tout de suite, les trois livres auraient probablement pu faire l'objet de trois livres indépendants. La «Genése» se présente comme le dernier épisode d'une série télé où on vous donne des explications pour être certain que vous avez bien compris. Bon ces dernières trente pages du roman ont le mérite de nous faire découvrir l'horreur du massacre des juifs de Pologne (1648) tel que décrit par Hannover dans «Le Fond de l'abîme» (1653 / traduit en 1855).

Ainsi, le premier livre se déroule comme une enquête du policier de Leonardo Padura, Mario Conde. Un enquêteur typique des romans policiers, un marginal qui dans ce roman ne fait plus partie de la police, il s'est plutôt recyclé en vendeur de livres rares. Il est dans la dèche et dans le rhum lorsqu'il apprend qu'un certain Elias Kaminsky viendra lui demander de l'aide.

Elias lui raconte alors une longue histoire inspirée par une toile de Rembrandt qui vient de réapparaître dans une vente d'œuvres d'art à Londres. Elias tient cette rocambolesque aventure de son père Daniel Kaminsky qui avait été envoyé d'Allemagne à Cuba chez son oncle Joseph à l'aube de la Deuxième Guerre mondiale. On y apprend qu'en 1939, environ neuf cents Juifs à bord du S.S. Saint-Louis doivent transiter par Cuba avant de pourvoir immigrés vers les États-Unis. Les passagers avaient déjà payé leurs billets et leur visa cubains à gros prix, mais le gouvernement cubain souffre d'un mal répandu «la corruption». En cours de route les visas sont annulés et le prix d'entrée au pays est augmenté.

Le bateau a bien accosté au port à Cuba, Daniel et son oncle Joseph Kaminsky sont-là en espérant voir apparaître ses parents et sa sœur Judith. Les agents de l'immigration cubains montent et descendent du bateau à tous les jours pendant une semaine, mais avec les nouvelles conditions, seuls quelques passagers privilégiés réussissent à mettre pied à terre. Le S.S. Saint-Louis repart, les États-Unis et le Canada refusent l’accès aux passagers. Il retraverse l’Atlantique pour se rendre aux Pays-Bas qui acceptent que les émigrants y débarquent pour être dirigés vers différents pays européens. Les Kaminsky seraient restées aux Pays-Bas pour finalement être déportés dans les camps.

Or, selon la famille Kaminsky, le tableau en question était la propriété des grands-parents. Elias dispose d'une photographie où l'on voit le tableau dans le salon chez ses grands-parents, ce qui lui a permis de faire suspendre la vente. D'autre part, son père Daniel a vu le tableau chez un haut fonctionnaire du département de l'immigration à Cuba. C'est de cette façon qu'il en vient à demander à l'ex-policier Mario Conde: est-ce que les Kaminsky auraient tenté de vendre le Rembrandt pour débarquer à Cuba? Qui les aurait escroqués? Puis, comment la toile serait passée de Cuba à Londres plus de soixante ans plus tard?

Au bout de quelques paquets de cigarettes, de quelques bouteilles de rhum et de quelques décès, Elias, Conde et ses amis ont des réponses, mais pas toutes. Je vous laisse deviner, on a donc ici un roman policier intéressant qui vous fait découvrir la Havane de 1939 à 2007 en 237 pages.

Dans le deuxième livre, Padura nous transporte à Amsterdam au XVIIe siècle presque trois cents ans en arrière. Ce bond est brutal et brise le rythme, même si on comprend que l'auteur veut probablement nous expliquer comment la toile «Les Pèlerins d'Emmaüs» a pu se retrouver dans la famille Kaminsky. Il nous raconte l'histoire d'Elias Ambrosius Montalbo de Avila qui veut être peintre malgré l'interdit religieux, chez les Juifs, de pratiquer cet art. Il réussit à devenir un élève du «maître». Si je ne me trompe pas, jamais dans le texte le nom de Rembrant n’est mentionné, mais c'est bien lui le «maître» puisque tous les autres personnages de ce 2e livre ont bel et bien existé. Il s'agit de la famille de Rembrant, des élèves de Rembrant, de ses clients, acheteurs et mécènes. D'autre part, on y apprend beaucoup d'éléments de l'histoire de la communauté juive alors florissante à cette époque à Amsterdam, ville perçue comme le Nouveau-Jérusalem. Ainsi, on se retrouve à lire un traité historique romancé d'une partie importante de la vie de Rembrant inséré dans une partie de l'histoire des juifs européens. Intéressant, on y apprend beaucoup de choses, mais pas comment le tableau s'est retrouvé dans la famille Kaminsky. Cet aspect nous sera dévoilé dans la «Genése» à savoir qu'Elias Ambrosius Montalbo de Avila aurait remis les tableaux à un rabbin qui est mort de la peste dans les bras de Moshe Kaminsky, leur ancêtre médecin!

Dans le «Livre de Judith», Mario Conde est supplié par la jeune Yadine de retrouver Judy, son amie disparue. Elle insiste parce que la police a fermé le dossier jugeant qu'elle avait probablement quitté le pays en radeau vers la Floride, comme sa sœur. Une nouvelle enquête pour Conde, on se doute bien qu'il devrait y avoir un lien avec le tableau, mais nous apprenons plutôt en même temps que Conde, la vie marginale d'une partie de la jeunesse cubaine avec ses multiples clans; punk, emo, gothique, rasta, etc., qui rejettent la vie que la société cubaine leur propose. En interrogeant l'entourage de Judy, Conde apprend qu'elle est très intelligente, qu'elle veut quitter les emos, qu'elle s'automutile, qu'elle a des lectures sombres, qu'elle écoute de la musique sombre, qu'elle est fan de Blade Runner, qu'elle avait une aventure avec son prof de littérature, qu'elle est lesbienne et vierge, qu'elle hait son père et ses magouilles, qu'elle voit un Italien en cachette, qu'elle a volé 500$ à sa grand-mère... Elle est maintenant disparue depuis plus de deux semaines. Un agriculteur la retrouve par hasard dans un puits abandonné au bout d'un de ses champs. La première conclusion qui saute aux yeux c'est que Judy se serait suicidée, mais ça ne colle pas; il y a du sang d'une autre personne, l'argent de la grand-mère a disparu, elle n'est plus vierge et elle a une drogue bizarre dans le sang. On apprendra ce qui est réellement arrivé de la bouche de son ami Yovany. Puis dans une parenthèse de ce troisième livre, on apprendra que le père de Judy est un héritier du haut fonctionnaire qui s'était accaparé le tableau de Rembrant et qu'il l'aurait probablement envoyé à sa fille à Miami en passant par le Venezuela pour qu'elle le mette en vente...

Alors que je lisais ce livre en m’intéressant aux péripéties de la toile de Rembrant, c’est comme s’il s’agissait d’un écran de fumée et qu’il fallait mettre cet aspect de côté. Il faut davantage porter notre attention aux «Hérétiques» puisque ce livre s’intéresse d’abord à la liberté sous plusieurs formes, mais surtout au libre arbitre comme on nous l’annonce en quatrième de couverture. Ainsi, Daniel Kaminsky renonce au judaïsme pour se sentir plus cubain, Elias Ambrosius peint dans la clandestinité pour ne pas être rejeté par sa communauté et Judy qui se cherche un clan pour ne pas faire partie de cette société qu’elle rejette. Ces personnages peuvent être perçus comme des hérétiques ou des libres penseurs qui choisissent leur destinée. Par contre, Padura leur fait payer cher leur liberté, ils meurent dans des circonstances pénibles liées à leur choix.

Padura nous parle aussi de la liberté avec humour en abordant celle de Basura II le chien de Mario Conde et également à l’égard du mariage mis de côté conjointement par Tamara et Conde. Il y aussi beaucoup de réflexions autour des religions et de l’existence d’un Dieu. Beaucoup d’information au sujet de la vie des juifs à différentes époques. Ça en fait une lecture très instructive, mais il y a justement, à mon avis, trop de choses d’abordées, on s’y perd.

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