Shuggie Bain de Douglas Stuart

 Le roman «Shuggie Bain» (2020/2021) de Douglas Stuart, un Écossais, a été récompensé par le Booker Prize en 2020. Il s'agit d'un roman en partie autobiographique qu'il a rédigé sur une période de dix ans et qui faisait au départ près de 1000 pages. Son éditeur l'a aidé à couper ça de moitié, ce qui lui a probablement permis de rédiger son deuxième livre «Mungo» (2023) assez rapidement.

Ce récit se déroule dans les années 1980, au sein de quartiers pauvres de Glasgow, en Écosse. Nous nous retrouvons dans une période économique désastreuse pour Glasgow, des dizaines de milliers de mineurs et d'ouvriers se sont retrouvés au chômage, ce qui a entraîné la fermeture de centaines de commerces. C'est ainsi que dans une atmosphère de misère que l'auteur nous raconte la vie de Hugh «Shuggie» Bain à partir de ses 5 ans jusqu'à ses 16 ans. Bien entendu, il est beaucoup question de sa famille et surtout de sa mère Agnes, une femme au foyer, la norme catholique dans ce milieu, aux prises avec de sérieux problèmes d’alcoolisme. Leurs aventures sont divisées selon leurs déménagements d'un quartier pauvre à l'autre de Glasgow.

Le roman débute avec une Agnes qui a déjà deux enfants, Catherine et Leek (Alexander), elle va se marier avec Shug, un chauffeur de taxi Casanova, avec qui elle aura son fils Hugh notre Shuggie. Dans la dèche, le couple devra aménager chez les parents d'Agnes dans le quartier Sighthill. Imaginer, ils vont y demeurer 5 ou 6 ans avant de quitter pour une petite maison «municipale» avec une porte d'entrée privée dans le quartier Pithead. L'essentiel du roman se déroule dans ce quartier noir charbon puisqu'il est accolé à une mine abandonnée. C'est très loin des espoirs d'Agnes auquel Shug ajoutera une couche de désespoir en la quittant subitement sur le palier de l'entrée. Catherine ayant déjà quitté le bateau familial, Agnes se retrouve seule avec ses fils Leek et Shuggie, sa bière, sa vodka, et les maigres allocations gouvernementales.

Le lecteur vit avec eux le quotidien de cette vie de misère ou les rapports humains sont durs tout en étant remplis d'amour. Agnes tient sa maison propre, elle est toujours maquillée et bien habillée avant de sombrer dans l'ivresse pour oublier. Leek se fait le plus invisible possible, il travaille pour réaliser son rêve d'entrée à l'école des arts. Alors que Shuggie jongle avec l’alcoolisme de sa mère, la découverte de son homosexualité, l'intimidation qui l'accompagne et la faim qui le tenaille.

Ce que l'auteur nous raconte est d'une infinie tristesse, mais tout à la fois tendre. Shuggie veut que sa mère guérisse et il est prêt à tout pour y arriver. Il aime profondément sa mère et elle l'aime aussi, malgré ses colères d'ivrogne privé de sa dose d'alcool. On observe cette relation intime remplie de bienveillance, lorsque Shuggie lui essuie la bouche, lui enlève ses souliers, ses collants et détache le soutien-gorge de sa mère pour qu'elle puisse cuver son alcool confortablement dans son fauteuil préféré.

Leek et Shuggie vont «combattre» l'alcoolisme et les tentatives de suicide de leur mère dans la misère ambiante de Pithead. Ils n'auront qu'une seule année de répit où Agnes fréquentait les AA, c'était trouvé un travail et un nouvel amant fréquentable. Malheureusement, Eugene, l'amant romantique était convaincu que l'alcoolisme se guérissait facilement et qu'Agnes pouvait recommencer à boire sans danger de rechute. Agnes s'enfonça encore plus profondément dans la spirale infernale de l'alcoolisme.

Elle entreprit de recommencer une nouvelle vie ailleurs avec Shuggie puisqu'elle avait maintenant réussi à pousser Leek vers la sortie. C'est le quartier East End qui les verra atterrir dans un minuscule appartement, puis la nouvelle vie promise à Shuggie n'aura été qu'un mensonge comme toutes les autres promesses d'ivrognes. C'est aussi dans ce quartier qu'on assistera à sa mort dans son fauteuil préféré, sa maladie aura fini par la tuer alors que Shuggie a passé ses 15 ans.

C'est impressionnant comment on peut arriver à écrire un excellent roman avec les détails de la vie quotidienne d'une famille démunie confrontée à une dépendance qui prend toute la place. Il s'y trouve un équilibre difficile à décrire entre l'espoir, la désillusion, le courage, la lâcheté, l'indifférence et la compassion, à chaque tournant l'amour filial prend le dessus. En prime, le lecteur est immergé dans le réalisme de cette vie ouvrière miséreuse dans le Glasgow des années 1980. Il ne fait pas soleil souvent dans ce roman, mais c’est une œuvre à lire si vous en avez le courage.

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