Le mage du Kremlin de Giuliano Da Empoli


La lecture de «Le mage du Kremlin» (2022) de Giuliano Da Empoli m'a laissé sur ma faim. Je m'attendais probablement a plus au sujet des motivations de Poutine à l'égard de sa direction de la Fédération de Russie depuis 20 ans. Je n'avais pas réalisé qu'il était là depuis si longtemps... Ce roman, qui s'apparente à un récit journalistique, donne la parole à Vadim Baranov, le narrateur, un personnage largement inspiré de Vladislav Sourkov qui a effectivement été conseiller de Vladimir Poutine pendant 20 ans. C'est ainsi qu'en nous rappelant quelques événements réels survenus en Russie pendant la même période, Da Empoli tente de nous faire comprendre la pensée du «mage du Kremlin» et par de là celle de Poutine qui est passée d'espion au KGB à premier ministre puis à Président de la Russie. L'auteur aborde également les perceptions du peuple russe, son attitude face aux événements et aux actions de ses dirigeants. Baranov parle de Poutine en l'appelant le Tsar, on peut y comprendre que l'image est évocatrice et que ça faisait plus joli que «le dictateur».

On y apprend notamment que la principale motivation de Poutine est de redonner sa grandeur à la Fédération de Russie aux yeux des Occidentaux et du monde. Le démantèlement de l'URSS est considéré comme l'humiliation ultime et pour lui, et bien des Russes, Staline est un héros. Baranov et Poutine parlent de la mise en place (ou remise en place) de la «verticalité du pouvoir» qui signifie: la centralisation du pouvoir, sa concentration, la domination et la nomination de «fidèles» (essentiellement des anciens collègues du KGB). Ils évoquent également la notion de «démocratie souveraine» dont le sens est plutôt obscur, dans les faits, cette idée veut dire quelque chose comme : laissez-nous mener notre démocratie comme nous l'entendons!

En parlant de la guerre du Donbass débutée en 2014, voici ce que dit Baranov:

« Que veux-tu que la Russie fasse avec deux régions de plus? On a repris la Crimée parce qu’elle était à nous, mais ici le but est différent. Ici notre objectif n’est pas la conquête, c’est le chaos. Tout le monde doit voir que la révolution orange a précipité l’Ukraine dans l’anarchie. Quand on commet l’erreur de se confier aux Occidentaux, cela finit ainsi : ceux qui te laisseront tomber à la première difficulté et tu restes tout seul face à un pays détruit. […..] L’importance de vos actions sur le champ de bataille ne se mesure pas aux villes que vous prenez, elle se mesure aux cerveaux que vous conquérez. » (P. 247)

Plusieurs dirigeants dans le monde ont assimilé cette idée qu'il faut «créer le chaos pour mieux régner»!

Cet ouvrage se lit facilement, l'écriture est directe et claire, le texte est plein d'images évocatrices, le tout avec une petite touche d'humour. Seul le chapitre 30 semble sortir de nulle part, Da Empoli aurait dû en faire un épilogue ou quelque chose du genre. Certes dans le contexte actuel ce roman est très intéressant, d'où sa popularité. Le roman a été écrit avant l'invasion de l'Ukraine, mais après que Da Empoli ait rédigé son essai qui nous l'a fait connaître, «Les Ingénieurs du chaos» (2019) qui aborde le rôle des «spin doctors» comme Baranov ou Steve Bannon qui animent les mouvements populistes dans le monde entier. Il faut également savoir que l'auteur a lui-même été conseiller politique en Italie.

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