En la personne de Naïm Kattan, j’ai découvert un intellectuel francophone qui a occupé une place très importante dans le Québec de la Révolution tranquille. J’ai lu «Adieu Babylone», son premier roman autobiographique paru au Québec 1975.
Dans ce récit, Kattan, né en 1928, nous raconte son adolescence de «Juif arabe» à Bagdad dans un Irak sous la tutelle britannique. Son récit se déroule de la 2e guerre mondiale (plutôt vers la fin) à la création d’Israël. On ne le réalise pas, mais avant la création d’Israël, il y avait des communautés juives prospères dans la majorité des pays arabes. Il faut également se rappeler que Bagdad ne fut pas qu’une suite de coup d’État synonyme de dictature. Bagdad a aussi été le lieu d’une grande diversité de culture pour le meilleur et pour le pire. À cette époque, les différentes cultures en présence étaient tiraillées entre les traditions et le modernisme à l’Occidental, les transitions ne se faisaient pas au même rythme et en ligne droite d’une communauté à l’autre.Ce roman peut pratiquement se lire comme une description socio-historique de la vie quotidienne des différentes communautés dans le Bagdad de cette époque. Le narrateur fait mention de ces communautés ethniques et religieuses plus ou moins divisées; les musulmans (chiites et sunnites), les Juifs, les Kurdes, les Chrétiens (assyriens, et arméniens). Ces communautés peuvent facilement être placées sur la carte de la ville puisque certains quartiers sont musulmans, d’autres sont juifs, etc. À ces quartiers s’ajoutent les classes sociales, les riches et les pauvres, puis il ne faut pas oublier les «étrangers».
Les membres de ces communautés se reconnaissent également par leur rapport aux langues en commençant par l’arabe dont l’accent de chacun trahit son origine. D’autre part, l’anglais est la langue des soldats britanniques qui contrôle encore le pays, pour le narrateur l’hébreu elle la langue de sa religion et le français devient pour lui la langue de la liberté. Sa connaissance du français s’explique par sa fréquentation des établissements de l’Alliance israélite de Bagdad dirigée par des Français.
Le jeune narrateur nous expose également, au cours de son récit, une inégalité flagrante entre les hommes et les femmes. Les femmes ne jouissent d’aucune liberté, elles ne participent pas aux décisions, ne doivent pas parler, ne doivent pas se montrer. Les écarts de conduite entraînent des sanctions disproportionnées. Ce rapport aux sexes fait en sorte que les jeunes de notre récit ne connaissant pas les femmes. Ils sont obsédés par la femme de rêve, celle des films et des romans étrangers auxquels ils ont accès face à la femme réelle qui est voilée, invisibles et sans voix. Les jeunes se sentent coincés dans une société misogyne qui leur demande de se comporter en «homme».
Tout en nous racontant l’histoire de cette société complexe, Kattan ne manque pas de laisser entrevoir que les juifs irakiens sont constamment en danger à commencer par le «Fahroud» de 1941 juste avant l’arrivée des Britanniques. Cette tension à l’égard de la communauté juive en Irak va s’accentuer. Plusieurs d’entre eux cherchent à partir et notre narrateur finira par quitter pour la France comme il le souhaitait.
L’écriture de Kattan est simple, précise et agréable à lire. L’aspect historique de son récit m’intéressait. J’insiste pour souligner qu’à mon avis, il s’agit bien d’un récit et non d’un roman. Je vous invite à lire Kattan si ce type de bouquin vous plaît, mais surtout à aller voir qui il était comme intellectuel francophone.
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